27
Le sang des nymphes

— Je commençais à me demander s’il ne vous était pas arrivé quelque chose, s’exclama Nichna lorsqu’elle nous aperçut enfin.

— Nous avons eu un contretemps, la rassurai-je, mais rien de grave.

Sans plus attendre, la nymphe tendit une petite bourse en tissu scintillant à Alix, qui en sortit trois flacons au contenu coloré.

— Comme promis, il y a le sang vert foncé d’une hamadryade, le sang bleu d’une océanide, le sang gris d’une oréade. Faites-en bon usage…

Le ton était tellement solennel que j’en eus la chair de poule. Dans les yeux de la nymphe, je vis passer une douleur si intense que je me demandai si elle n’était pas allée chercher ces fioles directement sur Elfré pour y constater elle-même les dégâts. Je m’abstins toutefois de poser la question.

— C’est certain, promit Alix avant de la remercier chaleureusement.

Quelques minutes plus tard, nous franchissions la porte de Wandéline. Son expression mitigée à la vue de mon Cyldias se mua en un sourire quand il lui tendit la précieuse bourse.

— Le sort de Mélijna repose désormais entre vos mains, décréta Alix alors que les deux compères contemplaient les liquides devenus si rares dans l’univers de Darius.

Foch hocha gravement la tête.

— Nous vous contacterons dès que nous aurons réussi la potion. Il se peut que nous ayons encore besoin de vous pour le contre-sortilège.

— Parce qu’il vous faut du sang de dragon ? devina Alix.

— Comment le sais-tu ? s’étonna Foch alors que Wandéline regardait le jeune homme d’un tout autre œil.

— Tu oublies que je suis maintenant un Sage d’Exception, mais surtout que j’ai, dans un passé pas si lointain, visité bien des bibliothèques oubliées des hommes. Il n’y a que trois façons de préparer un contre-sortilège et celle qui utilise le sang de dragon frais est la plus susceptible de réussir ainsi même que la plus courte à préparer, même si elle est très fastidieuse.

— Tu sais où en trouver ?

Alix opina du chef. Il n’avait pas mentionné sa rencontre avec Gontran lors du récit de son voyage sur Bronan et ne le ferait pas maintenant non plus. Certaines choses ne devaient pas être sues.

— Mais je ne le ferai qu’en dernier recours, si vous ne trouvez pas de meilleure solution. Vous avez pensé à la source des fées ?

Alors que Foch écarquillait les yeux, ignorant visiblement l’existence de cet endroit, Wandéline blêmit.

— Est-ce que ça va ? lui demandai-je, mais elle avait déjà retrouvé son aplomb.

Elle nous expliqua, à Foch et à moi, ce qu’il en était de cet endroit et des propriétés étonnantes de l’eau qui en jaillissait.

— Tu sais où elle se trouve ? s’enquit l’hybride.

— Sur Golia, dans les territoires glacés. De la Terre des Anciens, elle est accessible par un passage aujourd’hui scellé, mais je présume que Naïla pourrait le rouvrir sans problème. À moins que Mélijna ne l’ait déjà fait.

— Probablement, lâcha Alix, mais nous n’irons que si vous réussissez la potion de Vidas.

Foch et Wandéline acquiescèrent, puis nous discutâmes des essais magiques d’Oglore sur ses compatriotes. Les deux complices avouèrent ne rien pouvoir faire sans la formule utilisée, mais Wandéline promit de trouver une raison pour rendre visite aux gnomes dès que la question de Mélijna serait réglée. Même si les tentatives d’Oglore n’avaient pas été concluantes, la sorcière craignait que ce ne soit qu’une question de temps avant que les élémentaux de la terre ne trouvent le moyen de revenir à la surface. Ce n’était pas tant les gnomes qu’il nous fallait redouter, mais le résultat imprévisible de leur alliance avec Saül.

Il fut donc question du passage de Morteterre et de l’incidence de sa réouverture sur l’avenir de la Terre des Anciens.

— Si la demande d’Oglore aux dieux est exaucée, Phénor risque d’échanger un libre accès aux sous-sols des autres mondes avec Saül contre des avantages pour son peuple. C’est une très mauvaise nouvelle considérant les immenses richesses qu’ils renferment comme des métaux rares et des ingrédients jusqu’ici introuvables pour certaines concoctions. Heureusement, en dehors des dieux, il n’y a que la Grande Gardienne qui ait la capacité de rouvrir cette voie. Ce passage pouvant conduire dans chacun des univers parallèles, les autres Filles de Lune ne peuvent l’ouvrir à l’aide de formules ou d’incantations. Naïla est aussi la seule à pouvoir vérifier s’il n’est pas rouvert puisque personne n’est apte à le localiser.

— Il est toujours scellé, dis-je simplement.

Alix haussa les sourcils.

— Tu sais où il est ?

La question sonnait comme un reproche.

— Bien sûr ! Tu ne m’as rien demandé, ajoutai-je sur la défensive.

J’eus droit à un regard qui en disait long sur la rebuffade que je risquais d’essuyer lorsque nous serions seuls. Je lui adressai un sourire narquois. S’il croyait m’effrayer…

— Vous nous préviendrez s’il y a des changements ? s’enquit Foch pour faire diversion.

Je le rassurai puis nous repartîmes. Pour leur part, les deux acolytes nous donneraient des nouvelles par télépathie sur l’avancement de leur projet. J’oubliai cependant de questionner l’hybride sur le secret d’Ulphydius comme me l’avait conseillé l’oracle.

 

* *

*

 

— Tu es déjà allée à la source des fées, n’est-ce pas ? interrogea Foch dès qu’Alix et Naïla eurent disparu. Je l’ai vu dans tes yeux.

— Le problème avec toi, grinça Wandéline, c’est que tu me connais trop bien. Je suis incapable de te cacher quoi que ce soit !

La sorcière observa une minute de silence avant d’expliquer.

— Je ne m’y suis rendue qu’une seule fois, soupira-t-elle, et par un passage différent de celui qui y conduit directement. J’espérais que cette source me permettrait de sauver la vie de Garyl ; ses semblables l’avaient empoisonné en apprenant qu’il m’avait révélé certains secrets que les Édnés ne doivent partager qu’entre eux. Malheureusement, la source ne permet de remplacer qu’un seul ingrédient et il m’en manquait deux. J’ai bravé l’hiver de Golia et la colère des géants des glaces pour rien. Mon amour est mort dans mes bras, et moi, j’ai assisté à son départ, impuissante.

Le regard de Wandéline s’était progressivement noyé alors que la douleur de la perte refaisait surface avec acuité. Elle se mordit la lèvre, les yeux clos, luttant pour ne pas se laisser aller aux terribles souvenirs. Foch se retint de la prendre dans ses bras, sachant qu’elle n’apprécierait pas. Il n’en pensa pas moins que cela lui aurait fait le plus grand bien.

 

* *

*

 

— Tu crois qu’ils parviendront à diminuer le temps de préparation de cette fichue potion ? demandai-je à Alix alors que nous posions les pieds à la limite du désert où se situait la cité de Rachad.

J’avais communiqué avec ma mère, qui m’avait demandé de la rejoindre dans la ville dédiée à Darius. Nous avions convenu, mon Cyldias et moi, qu’il valait mieux discuter avec Andréa et Kaïn avant de tenter de repérer les Filles de Lune restantes dans l’univers de Darius.

— Ils n’ont qu’à utiliser une cellule temporelle pour y parvenir, mais je les soupçonne de ne pas être capables d’y compter efficacement le temps et d’avoir donc peur de ne pas ajouter les ingrédients aux bons moments. Il est très facile de perdre la notion du temps dans un espace magique où les repères sont inexistants.

Il avait grommelé sa réponse, m’en voulant vraisemblablement encore de ne pas lui avoir dit que je savais où se trouvait Morteterre. Je fis celle qui n’avait rien remarqué.

— Mais tu y es toujours parvenu sans problème ! m’étonnai-je.

— Parce que je maîtrise le temps depuis longtemps, ce que peu de gens sont en mesure de faire, Naïla. Il m’a fallu de longs mois, en cellule temporelle justement, pour y arriver et…

— Comment as-tu fait ?

Il soupira, réfractaire à cet interrogatoire.

— On me l’a enseigné, mais je ne pourrais même pas te dire qui puisque je n’ai jamais rencontré cet homme. C’est Foch qui m’a mis en communication avec lui par télépathie et…

Alors même qu’il parlait de ce passé, un déclic dut se faire dans son esprit puisqu’il laissa échapper un juron.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? le pressai-je.

— C’est ton père qui m’a appris cette magie datant de l’époque de Darius ! Lui seul pouvait la connaître et me l’enseigner dans la langue des Anciens. Mais pourquoi m’en avoir fait don si tôt ? Savait-il déjà que je veillerais sur toi ?

Alix se parlant davantage à lui-même, je restai muette.

— Une chose est certaine, il ne se doutait sûrement pas que sa fille deviendrait aussi problématique pour son pauvre Cyldias…, conclut-il avec une pointe de sarcasme.

— Tu veux bien en revenir à la fin, grognai-je. Ça n’aurait rien changé que tu saches où se trouvait Morteterre, alors je ne vois pas pourquoi…

— Ça m’aurait au moins évité de passer pour un idiot devant Wandéline !

— Ah, c’est donc ça le problème ! Monsieur n’aime pas mal paraître devant sa sorcière préférée. Tu saisis peut-être enfin comment on se sent quand une personne près de soi ne nous divulgue que ce qu’elle veut bien…

Il darda sur moi des yeux furieux, comprenant parfaitement ce que je voulais insinuer. Il avait maintes fois refusé d’échanger avec moi par le passé et j’en avais souvent fait les frais. Pour ma part, je pouvais au moins me targuer d’avoir agi bien involontairement.

— Mais Foch a dit qu’il ignorait l’existence de Kaïn jusqu’à il y a quelques mois à peine, m’étonnai-je.

— Je sais. La dernière fois que je l’ai interrogé au sujet de la tempymancie et de mon bienfaiteur, il m’a avoué ne jamais avoir su qui était l’homme qui souhaitait communiquer avec moi, ni pourquoi ce dernier ne l’avait pas fait directement au lieu de passer par un intermédiaire. C’est à ton père qu’il faudra poser la question, Naïla.

J’acquiesçai, puis changeai de sujet.

— Tu es certain que mon frère se porte bien ?

Je lui avais posé la question une bonne douzaine de fois depuis son retour. Que Madox avance dans le sillage d’Alejandre ne m’enthousiasmait guère, même si je le savais capable de se débrouiller. J’avais encore fraîches en mémoire les images du sacrifice perpétré par Oglore et les demandes qu’elle avait présentées aux divinités. Alix avait aussi mentionné les nouveaux dons de son jumeau et cela ne me disait rien qui vaille. Une chose était cependant certaine : je mourais toujours d’envie de crucifier cet imbécile et j’espérais bien que personne ne le ferait avant moi. Malheureusement, Alix pensait que le moment n’était pas bien choisi pour que je passe à l’offensive, me disant que nous resterions peut-être assez longtemps dans la cité pour voir apparaître le triste sire, et mon frère sain et sauf par la même occasion.

— Il va très bien, me répéta mon Cyldias, excédé. Ce n’est plus un gamin, Naïla. Il est parfaitement capable de veiller sur lui sans l’aide de personne. Si tu n’as rien de plus constructif à me demander, nous ferions mieux de rallier Ramchad avant la tombée de la nuit. Nous pourrons peut-être enfin savoir pourquoi Andréa et Kaïn ont tellement besoin de nous.

Je soupirai profondément avant de disparaître.

 

* *

*

 

Ma mère m’accueillit à bras ouverts et m’étreignit avec ardeur. Kaïn, lui, afficha une grande réserve, ce qui me convenait très bien. Nous ne pouvions nous comporter comme si nous nous étions toujours connus alors que j’ignorais même son existence à mon arrivée sur Brume. J’espérais néanmoins que le temps nous permettrait de rattraper les trop nombreuses années perdues. Le Sage ne fraternisa pas davantage avec Alix ; les deux hommes se jaugeaient souvent du regard quand ils ne se croyaient pas observés. Je supposai qu’il faudrait du temps là aussi…

Je n’en étais qu’à la moitié de la narration de mes aventures quand Kaïn reçut un message télépathique de la part de Pacôme, aiguillant ainsi la conversation vers les orphelins et reléguant à plus tard la question du repérage des Filles de Lune que j’avais à peine eu le temps d’effleurer. Les heures qui suivirent furent consacrées au récit de mon père concernant l’Orphelinat des Sages et à son désir d’obtenir notre aide pour déménager les jeunes magiciens dans la cité de Darius.

Nous dormîmes dans l’une des maisons abandonnées que ma mère avait rapidement aménagée pour nous, c’est-à-dire qu’elle y avait mis une paillasse et des draps, de même que quelques couvertures de laine venues directement de Philizor par magie. Le reste du bâtiment demeurerait probablement sale et poussiéreux ; je n’avais pas l’intention de m’y éterniser et de me donner ainsi l’impression de mener une vie normale quand c’était tout le contraire.

Incapable de dormir, je sortis avant l’aube pour découvrir que ma mère souffrait aussi d’insomnie. Je la rejoignis sur les remparts où elle observait les mistrals – chevaux ailés des sylphes – voler librement dans un ciel aux teintes orangées.

— Comment allait Hilda quand tu es partie ?

La question me prit au dépourvu. Je délaissai les chevaux pour me tourner vers Andréa.

— Plutôt bien, considérant que je l’abandonnais pour un monde qui ne m’apporterait bientôt que des souffrances et une haine viscérale envers des gens que je rêve aujourd’hui d’étrangler à mains nues, répondis-je avec plus de hargne que je ne le voulais. J’espère seulement qu’elle a su dépasser cette épreuve sans trop y laisser d’elle-même… repris-je sur un ton plus doux.

Les larmes avaient rapidement fait leur apparition aux souvenirs trop vifs qu’évoquait cette conversation.

— Elle doit se sentir terriblement seule, continuai-je dans un sanglot, sans personne à qui raconter ses tourments, personne pour la chérir ou la prendre dans ses bras, personne à qui se confier non plus au risque de passer pour une folle. Tu n’imagines pas ce que je donnerais pour la revoir…

La gorge nouée, je m’assis, les pieds pendant dans le vide, puis j’enfouis mon visage dans mes mains. Ma mère prit place à mes côtés et glissa un bras protecteur autour de mes épaules.

— Oh si, je l’imagine, ma chérie ! Il ne se passe pas un jour sans que j’aie une pensée pour ma mère, que j’ai dû laisser derrière moi. Pas un jour sans que je me demande ce qu’elle est devenue, à quoi elle ressemble maintenant, si elle a su tirer parti de cette vie qui l’a tant éprouvée. Malheureusement, je ne peux rien faire pour apaiser sa souffrance. Il est trop tard pour que je retourne là-bas…

La voix de ma mère se brisa sur ces derniers mots. À mon tour, je passai mon bras autour de ses épaules tout en étant consciente que je ne pouvais pas lui apporter davantage de réconfort. De longues minutes s’écoulèrent dans un silence entrecoupé par les reniflements disgracieux de deux femmes qui pleuraient les déceptions imposées par une existence trop souvent cruelle. Des images de Tatie défilaient sans interruption dans mon esprit, alimentant le flot intarissable de mes larmes. Ce cinémascope douloureux eut au moins l’avantage de me rappeler quelque chose.

— Comment as-tu retrouvé Samuvel à l’époque ? demandai-je quand j’eus recouvré un semblant de calme.

Ma mère ne répondit pas tout de suite, réprimant difficilement un dernier sanglot.

— J’ai croisé sa route par hasard, au détour d’une ruelle mal famée de Nasaq, où il était venu rencontrer un ami. J’ignore encore aujourd’hui ce qui m’a poussée à lui parler, alors qu’il était attablé dans un coin de l’auberge, mais je me plais à penser que c’est Tatie qui m’a conduite à lui, me permettant de connaître enfin mon père.

— Tu le lui as dit ?

— Non, je ne m’en suis pas senti le courage quand j’ai compris qui il était…

 

* *

*

 

Nous avions discuté à bâtons rompus une partie de l’après-midi. La pluie tombait dru et le vent soufflant en rafale faisait claquer les volets. Quand l’orage avait cessé, je m’étais levée pour partir ; il m’avait retenue.

— Vous voulez bien rester encore un peu ?… S’il vous plaît…

Il y avait une telle détresse dans sa voix que je m’étais rassise. Son regard s’était accroché au mien comme s’il y cherchait la réponse à une question qu’il n’osait poser.

— J’ai aimé une femme extraordinaire autrefois, avait-il commencé, les yeux tournés vers un monde auquel je n’avais pas accès, mais j’ai dû la quitter malgré moi. Je ne pouvais pas rester près d’elle. Je n’en avais pas le droit.

Chacun de ses mots trahissait une blessure qui n’avait pas cicatrisé, une douleur encore vive. Subjuguée, j’avais innocemment demandé pourquoi il n’avait pas pu demeurer auprès de sa bien-aimée.

— Parce que c’était les ordres et qu’on ne discute pas les ordres…

Il m’a ensuite parlé de cette femme dont le souvenir le hantait, une femme qui s’appelait Hilda. En entendant ce prénom, mon cœur avait fait un bond dans ma poitrine. Il ne m’avait fallu que quelques minutes supplémentaires pour me conforter dans l’idée qu’il parlait de ma mère. Nous avons bavardé jusque tard dans la nuit, alors qu’une pluie fine tombait toujours. L’endroit était désert et l’aubergiste somnolait, tenant à peine sur son tabouret derrière le comptoir. J’ai quitté Samuvel sans même lui demander où il allait. J’ai pensé que si j’étais incapable de lui dire la vérité, je ne méritais pas de le revoir. J’ai toujours regretté cette décision…

 

* *

*

 

— Comment a-t-il pu te remettre le bout de parchemin que tu as donné à Hilda alors ?

— Il ne m’a jamais remis ce parchemin ; j’ai imité magiquement son écriture, m’expliqua Andréa sur un ton d’excuse. Je lui avais demandé l’adresse d’une voyante, dont il m’avait parlé dans l’après-midi. C’est à partir de cet échantillon que j’ai créé le message pour Hilda. Je leur devais bien ça, à tous les deux.

Je ne savais trop si je devais me montrer compréhensive ou en pleurer.

— Tu crois qu’il vit toujours ?

— Difficile à dire. Dans un univers comme celui des Anciens, on peut vivre trop vieux ou mourir très jeune, Naïla. Pourquoi ?

— Parce que je pense qu’il a le droit de savoir que nous existons toutes les deux et que c’est grâce à lui. Surtout si nous parvenons à détruire Saül et à redonner vie à l’univers de Darius. Ça ne lui rendra pas son amour perdu, mais ce sera peut-être un baume sur sa blessure…

— Il doit sûrement y avoir une façon de le retrouver, mais je ne la connais pas, soupira Andréa.

Le silence s’installa ensuite entre nous pour un long moment, jusqu’à ce qu’Alix vienne le troubler. J’abandonnai ma sarabande de souvenirs avec nostalgie, me demandant encore une fois si je reverrais jamais Tatie. Toutefois, une chose était claire dans mon esprit : si j’en avais la possibilité, je partirais à la recherche de Samuvel.

— Je peux te parler une minute, Naïla ?

Surprise par le ton de la requête, j’acquiesçai. Nous quittâmes les remparts pour nous promener dans la ville déserte. Si tout se déroulait comme prévu, l’endroit grouillerait, dès le lendemain, de jeunes mages prêts à tout pour défendre l’univers qui les avait dotés de dons si particuliers. Nous marchions sans but depuis plusieurs minutes déjà, mais Alix ne m’avait toujours pas dit pourquoi il tenait à me parler en privé.

— Que se passe-t-il ? m’enquis-je, légèrement inquiète. Tu n’as pas l’habitude d’être aussi hésitant.

— Probablement parce que ce qui me chicote n’est pas simple et je ne voudrais pas avoir, l’air de m’ingérer dans ce qui ne me regarde pas.

Décidément, ça ne lui ressemblait pas, lui qui avait passé sa vie à faire damner autrui parce qu’il ne se mêlait justement pas de ses affaires.

— C’est à propos de Madox, Naïla. Il ignore toujours que sa mère est vivante et je doute qu’il soit heureux de l’apprendre après que quelque cinq cents mages ont fait sa connaissance, en plus de je ne sais combien d’autres personnes qui le savent déjà, à commencer par Wandéline qui lui a sauvé la vie grâce à la fiole d’Anibal. Madox mérite mieux que ça.

J’écarquillai les yeux, non pas parce que je trouvais l’idée dénuée de sens, mais parce que j’étais certaine que ma mère avait déjà remédié à cet état de fait. Je ne lui avais même pas posé la question tellement j’en étais convaincue.

— Tu es sûr de ce que tu avances ?

— Tu veux dire que…

— Que je pensais que c’était chose faite ? Évidemment, sinon je ne tomberais pas des nues ! Je te rappelle que je suis sans nouvelles de Madox depuis mon retour de Brume alors je ne vois pas comment j’aurais pu être au courant. Remarque, il aurait pu communiquer par télépathie avec moi, mais il faut croire que j’en demande trop !

— À ma connaissance, la télépathie, ça fonctionne dans les deux sens. Si tu n’étais pas satisfaite des nouvelles que tu recevais de ton frère, rien ne t’empêchait d’aller les chercher directement à la source !

Son regard étoilé s’arrima au mien avec insistance.

— C’est vrai, concédai-je à contrecœur. Mais vous vous étiez disputés, puis il est parti en mission. Je ne savais pas trop comment…

Je m’interrompis, consciente que j’étais tout autant à blâmer que mon frère.

— De toute façon, repris-je, ça ne change rien au fait qu’il ignore toujours qu’Andréa est vivante, ce qui n’a pas de sens ! Il faut que je parle à ma mère…

Sur ce, je disparus à la recherche d’Andréa, que je trouvai dans la bibliothèque, en compagnie de Kaïn.

 

* *

*

 

— Ce n’est pas une raison pour le tenir dans l’ignorance, hurlai-je. Tu imagines comment il réagira quand il saura que tu lui caches ton retour depuis des mois, hein ? Et moi qui croyais que c’était la première personne à qui tu le dirais !

Je me pris la tête à deux mains, m’efforçant au calme. Je m’étais présentée dans l’intention d’aborder le problème avec doigté, mais la réplique de ma mère selon laquelle elle n’avait pas encore trouvé comment prévenir mon frère sans lui causer un violent choc nerveux, m’avait mise hors de moi tellement elle me paraissait ridicule en regard du mal qu’elle lui infligerait en le maintenant dans l’ignorance.

— Elle a raison, Andréa, dit doucement Kaïn. Tu ne peux plus…

— Tu peux bien parier, toi ! vociféra ma mère. Tu n’as eu qu’une fille et tu ne la connaîtrais probablement pas encore si elle n’était pas apparue sans prévenir au Sommet des Mondes. Je me passerai donc de tes commentaires !

Elle le fusilla du regard et il eut la sagesse de disparaître. Dès que nous fûmes seules, elle éclata en sanglots qui mirent une éternité à se tarir. Je me sentais coupable ; c’était la deuxième fois que je la faisais pleurer depuis le lever du soleil. Je ne pus cependant m’empêcher de penser qu’elle ne semblait pas plus douée que mon père pour le rôle de parent. Elle me promit finalement de parler à Madox avant le crépuscule, ce qui me parut une excellente idée.

 

Quête d'éternité
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